La Boîte à Merveilles de Séfrioui : le parler de Lalla Zoubida
Lalla Zoubida est un personnage clé dans l’histoire du roman et ce à plus d’un titre. Elle est la mère d’un enfant mineur et par conséquent son tuteur, comme elle est la maîtresse de maison d’un foyer d’où le père est souvent absent. Elle a la fonction de remplir les vides : vide patriarcal laissé par l’absence de la maison de son mari Si Abdeslam et vide narratif laissé par le jeune âge du narrateur Sidi mohammed. A ce titre, elle est constamment présente et sa présence pèse lourd sur le récit qu’elle domine par ses nombreuses interventions aussi bien à caractère social que narratif. C’est une femme qui s’impose à Dar Chouafa par ses origines de Chérifa ,descendante du prophète(femme de naissance noble) comme elle le fait entendre à haute voix :<< Il existe, dit-elle, des papiers pour le prouver…>>( page 16) c’est pourquoi elle prend des airs de supériorité sur ses voisines dont le nom n’est précédé d’aucun titre de noblesse comme Rahma et Fatma Bziouya tout court ; enhardie par ses origines, elle s’impose par son parler rude et par ses prises de positions pour prendre la défense de son amie Lalla Aïcha dont elle se fait l’avocate ou pour s’en prendre aux autres ; elle s’impose également par ses interventions dans le récit qu’elle prend en charge au détriment du narrateur officiel et attitré.
Toutes les fois que Lalla Zoubida prend la parole, c’est pour agresser ou contrefaire. Son langage est grossier et frôle parfois le vulgaire, ses insinuations nombreuses. Elle domine l’œuvre par sa présence permanente, et Dar Chouafa par sa position : rien ne lui échappe de son deuxième étage qui lui offre une vue en plongée. Pour rentrer chez-elle, elle passe par Kanza, la Chouafa, par Rahma la femme du fabricant de charrues, et par Fatma Bziouya ; pour en descendre, elle fait l’inverse. Elle est donc le personnage le mieux renseigné du roman, plus que le narrateur lui-même, grâce à ses nombreuses sorties qui lui permettent d’aller à la recherche des nouvelles qu’elle trouve du plaisir à colporter.
Dès la seconde moitié du chapitre I, le lecteur prend connaissance de Lalla Zoubida : en effet, elle accable d’insultes Rahma qu’elle traite de tous les noms ; son mari non plus n’échappe pas à sa langue :<< Je sais qui tu es, toi, une mendiante d’entre les mendiantes, une domestique d’entre les domestiques, une va-nu-pieds, crottée et pouilleuse, une lécheuse de plats qui ne mange jamais à sa faim. Et ton mari ! Parle-moi de cet être difforme, à la barbe rongée de mites, qui sent l’écurie et brait comme un âne !>> (page 16). Au retour de Si Abdeslam de son travail, elle lui fait le comte rendu de la dispute du jour à sa façon mais de manière non moins insultante pour sa voisine qu’elle dédaigne de nommer et qu’elle désigne par le métier peu noble de son mari :<< Mais avec la gueuse du premier étage, la femmes du fabricant de charrues ! Cette dégoûtante créature a souillé mon linge propre avec ses guenilles qui sentent l’étable>> (page 18). Comme la journée ne lui a pas suffi à calmer les démons qui habitent son corps de démon femelle, lalla Zoubida ouvre les hostilités .Et les deux femmes enhardies par la présence du mari de chacune, s’échangent des insultes d’égale à égale, mot pour mot, injure pour injure, contorsion pour contorsion. La dispute du soir est une réplique de celle du matin avec en plus la présence des hommes et le sentiment que Rahma a de rendre à Lalla Zoubida coup pour coup. A << Il a fallu cette pouilleuse…>> de Lalla Zoubida, répond :<< Pouilleuse ! Moi ! Entendez-vous, peuple des Musulmans ?>> de Rahma (pages 18 et 19). Et la suite est une cacophonie d’injures, d’insultes, de cris, mêlée d’échevellement, et de contorsions.
Abdelkader, l’associé de Moulay Larbi, n’échappe pas aux diatribes et invectives de Lalla Zoubida; elle le traite de ; de , pour devenir en fin de compte. Elle le classe parmiet<< les va-nu-pieds qui n’ont pas de foi>> (pages 68 et 69)
La fille du coiffeur devenue la seconde épouse de Moulay Larbi fait les frais de Lalla Zoubida par ses insinuations indécentes à caractère charnel ou érotique : (page232).
Le narrateur lui aussi reçoit sa part du registre de Lalla Zoubida qu’elle désigne par des dénominatifs non moins péjoratifs et insultants<< tête de mule>> ; <<âne à face de goudron>> ;; (page 104).
Crainte de la plupart des femmes pour être une femme qui fraternise avec Satan et le Diable et pour commander les Démons qui peuplent l’univers, La Chouafa ne fait pas exception à la règle :<< Le long de la rue elle maudissait toutes les Chouafas de la terre, ces femmes calamiteuses qui ne manquaient aucune occasion pour vous empoisonner la vie. Elle se demandait ce qu’elle avait bien pu faire de l’argent de cette maudite sorcière de Kanza…..s’énerva, s’agita, lança de nouvelles imprécations contre les Chouafas et leurs acolytes>> (page 111)
De retour chez-elle après le bain maure, elle se livre à toute une comédie où elle allie avec art le geste au verbe et dont les baigneuses et les masseuses sont les infortunées victimes contrefaites :<< Elle mimait les gestes d’une telle Chérifa connue dans le quartier, la démarche de telle voisine qu’elle n’aimait pas…ou se révoltait contre les masseuses, ces entremetteuses, mères des calamités, qui escroquaient les clientes sans leur apporter la moindre goutte d’eau>> (page13)
Et pour finir Lalla Zoubida se joint à Lalla Aïcha, et à Salama la marieuse pour couvrir d’injures le coiffeur, sa mère, sa femme et leur fille : elles<< représenteraient le rebut de la société ; à leur mort, les chiens même ne voudraient pas de leurs charognes>>, quant à la mère du coiffeur (<< que ses os aillent entretenir les flammes de l’Enfer>>) (page 238) même morte, elle n’est pas épargnée. Les deux Lalla composent un couple de jumelles parfaites ; les noms des Khadija ne leur échappent pas : Ils sont pour elles source de plaisanterie et de rire<< Il serait plus simple de les appeler Khadija la sourde, Khadija la louchonne, Khadija la noire, tout le monde comprendrait de qui il s’agit>> (page148).
Puis les deux Lalla donnent libre cours au côté poétique de leurs commérages sur les hommes :<< Elle [maman] comparait le mari de Rahma à un âne qui aurait trop mangé de son, celui de Fatma Bziouya à un rat inquiet. Mon père, qu’elle appelait ’’l’Homme’’, n’échappait pas à ses coups de griffes>> (page 58).
Le registre de Lalla Zoubida est riche et varié en grossièreté. S’il lui arrive de ne pas trouver une victime sur qui se décharger, elle se retourne contre sa propre personne : (page 177)
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MR : Zaid Tayeb